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Imprimer la pageLe rapport annuel 1999

SECTION 2 - La discipline et la responsabilité des magistrats

Toute action disciplinaire est individuelle par définition. Elle s’insère pourtant dans ce qui doit être une politique disciplinaire.
Celle-ci implique :
- une appréciation précise de la situation en cause, acquise en temps utile ;
- une connaissance suffisante, par tous, de la jurisprudence disciplinaire ;
- une vision claire de la déontologie judiciaire, reposant sur une réflexion permanente. La réussite - c’est-à-dire l’acceptation par tous - d’une telle politique en dépend.
Si nécessaire qu’elle soit, toute action disciplinaire est aussi, en un sens, la conséquence d’un double échec : celui du magistrat sanctionné et celui de l’action de prévention qui aurait pu souvent, engagée à temps, éviter la répression disciplinaire. Dans cette action, les chefs de cour et de juridiction sont, par leurs fonctions, en première ligne. Leur devoir de vigilance et de précaution doit être souligné.
Le moyen privilégié de cette action de prévention est une réflexion portant, au-delà de la dimension disciplinaire proprement dite, sur la responsabilité du magistrat.
L’extension des domaines d’intervention de la justice et l’importance corrélative de ses décisions conduisent nécessairement à une réflexion attentive sur la responsabilité des magistrats et les moyens de la mise en œuvre de celle-ci.
Deux raisons conduisent le Conseil supérieur de la magistrature à mentionner cette question dans son rapport :
En premier lieu, sa mission constitutionnelle : la responsabilité des magistrats est liée à l’indépendance de l’autorité judiciaire. " Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. " L’augmentation des pouvoirs et des domaines d’intervention de l’autorité judiciaire accroît encore la nécessité d’une réflexion sur cette responsabilité.
En second lieu, un débat public s’est instauré à ce sujet. Le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait en être absent.

Deux points méritent enfin d’être soulignés :
Le premier se rapporte à l’influence d’un texte : la Convention européenne des droits de l’homme.
L’influence de cette Convention et notamment de son article 6, déjà cité, mérite une mention particulière. En effet, trois des notions contenues dans cet article - celles de délai raisonnable, de tribunal indépendant et impartial, et de procès équitable - se rapportent à la responsabilité des magistrats dans l’exercice de leur activité juridictionnelle, au sens large du terme. Elles ont donné lieu à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dont l’influence sur la jurisprudence, voire la législation nationale est de plus en plus notable.
Ainsi le dépassement du délai raisonnable a été assimilé, dans certains cas, au déni de justice, entraînant la responsabilité de l’Etat au titre de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire (cf. infra, p. 114).
La notion d’impartialité fait à juste titre l’objet d’une attention accrue, à la lumière, notamment de récents arrêts de la Cour de cassation (cf. Cass. ass. plén. 6 novembre 1998 ; D. 1999, 1, concl. J.-F. Burgelin ; JCP 1998, II. 10198, rapport P. Sargos ; Cass. ass. Plén. 5 février 1999 (2 arrêts), Les Annonces de la Seine, supplément au n°12, 15 février 1999, p. 2 ; Les Petites Affiches, 15 février 1999). Le Conseil supérieur de la magistrature a fait un usage exigeant de cette notion. D’abord en l’appliquant à lui-même lorsque saisi d’une demande d’avis par le garde des sceaux, ministre de la justice, il s’est fondé sur cette exigence d’impartialité soit pour refuser d’émettre un avis dans une procédure autre que disciplinaire (cf. CSM, siège, avis du 11 septembre 1996. Il s’agissait d’une procédure suivie devant la Cour de discipline budgétaire et financière) , soit pour limiter la portée de son avis, en raison de l’éventualité de poursuites dont il pourrait être saisi (cf. CSM, formation plénière, avis du 27 mai 1998).
La notion de procès équitable s’applique non seulement à l’activité juridictionnelle mais aussi aux actes qui l’entourent (cf. CSM, siège, 2 juillet 1992) .

Le second a trait au rapport entre la responsabilité des magistrats et leur droit à la protection.
Un équilibre satisfaisant doit être assuré entre, d’une part, les exigences de la nécessaire sécurité juridique et judiciaire et, d’autre part, celles d’un bon fonctionnement du service public de la justice.
En vertu des dispositions de l’article 11 du statut de la magistrature : "Indépendamment des règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. L’Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas prévus par la législation sur les pensions ".
Il incombe naturellement au garde des sceaux mais aussi aux chefs de cour et de juridiction d’apprécier, dans chaque cas, l’opportunité de la protection et le choix des moyens propres à l’assurer de manière effective.
C’est en tenant compte de l’ensemble de ces éléments qu’ont été rédigés les développements qui suivent. Un examen des systèmes de responsabilité relatifs au service public de la justice (A) précédera l’exposé des orientations d’une réforme (B).

 

A - LES SYSTEMES DE RESPONSABILITE RELATIFS AU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

On examinera successivement la responsabilité de l’Etat (1) et celle des magistrats (2).

1) La responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice

a) Les dispositions en vigueur
Les régimes spéciaux
Cas de responsabilité pour faute : la tutelle.
L’Etat est seul responsable à l’égard du pupille du dommage résultant d’une faute quelconque commise dans le fonctionnement de la tutelle par le juge des tutelles, son greffier ou l’administrateur public chargé d’une tutelle vacante. Cette action est portée devant le tribunal de grande instance (art. 473 du code civil).
Cas de responsabilité sans faute :
La révision
Le condamné reconnu innocent après révision de la condamnation (art. 622 et suivants du code de procédure pénale) a droit à une indemnité à raison du préjudice que lui a causé sa condamnation, sauf si la non-représentation de la pièce nouvelle ou la non-révélation de l’élément inconnu en temps utile lui est imputable.
Toute personne justifiant du préjudice que lui a causé la condamnation peut également demander une indemnité dans les mêmes conditions. L’indemnité est à la charge de l’Etat. Elle est allouée soit par la chambre criminelle de la Cour de cassation statuant comme cour de révision, soit par la commission mentionnée à l’article 149-1 du code de procédure pénale (art. 626 de ce code).
La détention provisoire
Une indemnité peut être accordée à toute personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire suivie d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement si cette détention lui a causé un préjudice.
La décision est prise par une commission nationale composée de magistrats du siège de la Cour de cassation (articles 149 et 149-1 du code de procédure pénale).
La loi du 30 décembre 1996 a supprimé la condition relative au caractère manifestement anormal et d’une particulière gravité du préjudice.
Une responsabilité sans faute a été instituée par la jurisprudence administrative. C’est ainsi que certaines mesures mises en œuvre tant au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante par le juge des enfants, qu’en milieu pénitentiaire (permissions de sortir, semi-liberté, libération conditionnelle) sont susceptibles de créer, pour les tiers, un risque spécial de dommages. Lorsqu’un tel dommage existe, et qu’il possède un lien de cause à effet avec la décision prise, eu égard aux circonstances de lieu et de temps, il y a lieu à indemnisation. (Une jurisprudence analogue existe en matière de responsabilité hospitalière, s’agissant des personnes hospitalisées pour des raisons psychiatriques.) Le fondement est ici la rupture de l’égalité devant les charges publiques.
Le régime général de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire
Aux termes du premier alinéa de cet article, " l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ".
L’évolution de la jurisprudence relative à l’application de cette disposition fait ressortir les éléments suivants :
- la rigueur initiale du texte a été tempérée par une interprétation assez libérale des notions de faute lourde et de déni de justice ;
- la faute lourde n’est pas seulement " celle qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n’y eût pas été entraîné (cf. Cass. 1e civ., 3 octobre 1953, Bull. no 224)". S’y ajoutent les " méconnaissances graves et inexcusables des devoirs essentiels du juge dans l’exercice de ses fonctions (cf. Cas. civ. 1e , 10 mars 1995) ". La faute lourde peut également consister dans un " comportement anormalement déficient du juge (cf. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 1996, Mme Lebrun c. Agent judiciaire du Trésor)". Constitue une faute lourde, par exemple, la divulgation à la presse, par des membres du personnel du service de la justice, de documents permettant d’identifier les personnes mises en cause à l’occasion d’une enquête (cf. Tribunal de grande instance de Paris, 3 avril 1996, Bonnet, Guinchard et Noir c/ Trésor public ; cass. 1e civ. 9 mars 1999, Malaurie c. Agent judiciaire du Trésor public, JCP 1999. II. 10.06.69, rapport Sargos). Un délibéré d’un an devant une cour d’appel a ainsi été jugé constitutif d’une faute lourde (cf. Tribunal de grande instance de Paris, 9 juin 1999, Quilichini).
Le déni de justice en l’état actuel de la jurisprudence, inclut notamment " le cas où le juge refuse de répondre aux requêtes ou ne procède à aucune diligence pour instruire ou faire juger les affaires en temps utile (cf. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 1994). Le tribunal de grande instance de Paris a jugé à plusieurs reprises qu’il faut entendre par déni de justice, susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat en application de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être, " mais aussi, plus largement, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ".
Dans une affaire, la faute lourde a été conjuguée avec le déni de justice (cf. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 1996, Salvodelli c. Agent judiciaire du Trésor).
Selon la jurisprudence, l’article L. 781-1 du COJ ne s’applique qu’aux usagers du service de la justice, non à ses collaborateurs (cf. Cass. 1re civ., Guilhaume c. Agent judiciaire du Trésor, Bull. no 374 ; D. 1988.578, note Moussa).
Les collaborateurs ont droit, même en l’absence de faute, à la réparation intégrale du préjudice subi dès lors qu’il est anormal, spécial et d’une certaine gravité (cf. Cass. 1re civ., 30 janvier 1996, II-22608, rapport Sargos ; D. 1997.83, note Legrand, pour un mandataire judiciaire, et tribunal de grande instance de Limoges, 3 novembre 1994, CRAMA de la Haute-Vienne c. Trésor public, pour un collaborateur occasionnel).
Il a été jugé par deux cours d’appel que le fondement de la responsabilité de l’Etat peut résider dans une décision juridictionnelle, même si elle est revêtue de l’autorité de la chose jugée (cf. Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 15 septembre 1986, Consorts Saint-Aubin ; cour d’appel de Paris, 21 juin 1989, mêmes demandeurs). A ce jour, la Cour de cassation n’a pas encore statué sur ce point.
A titre de comparaison, on rappellera le régime de la responsabilité de l’Etat du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative : selon la jurisprudence du Conseil d’Etat (cf. 29 décembre 1978, Darmont, p. 542), cette responsabilité est subordonnée aux deux conditions suivantes :
- une faute lourde est exigée ;
- si la faute alléguée résulte du contenu même d’une décision juridictionnelle, et si celle-ci est devenue définitive, l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de cette responsabilité.
Dans ce domaine aussi, l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la règle du délai raisonnable est patente. Dans un arrêt rendu en 1991, cette Cour a rejeté l’exception tirée par le gouvernement français de l’absence d’épuisement des voies de recours nationales, ou motif qu’il n’avait pu être démontré que les juridictions françaises interprétaient la notion de faute lourde de manière à y inclure le dépassement du délai raisonnable mentionné par l’article 6-1 de la Convention (cf. Vernillo c. France, 20 février 1991). Il reste à voir si l’assouplissement précité de la jurisprudence conduira la Cour à modifier son appréciation.

b) L’élargissement des conditions d’application de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire
Les évolutions récentes du droit de la responsabilité de l’Etat peuvent conduire à substituer l’exigence d’une faute simple à celle d’une faute lourde. Plusieurs raisons justifieraient un tel changement :
- l’exigence d’une faute lourde est liée traditionnellement aux difficultés particulières d’exécution d’un service public. Admettant pour la première fois que, d’une manière générale, l’Etat était tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, la loi du 5 juillet 1972 a posé l’exigence d’une faute lourde. Une telle exigence ne se justifie plus aujourd’hui : il n’est plus possible d’affirmer que, d’une façon générale, l’exécution du service de la justice présente des difficultés particulières au point d’exiger une faute lourde. Le débat sur la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat dans ce domaine se pose en des termes nouveaux ;
- l’exigence d’une faute lourde est en net recul dans le droit général de la responsabilité de la puissance publique ;
- à l’absence justifiée d’action directe de la victime contre le magistrat auteur d’une faute personnelle (cf. infra) doit correspondre un élargissement des conditions de la mise en cause de la responsabilité de l’Etat.
Un avant-projet de loi communiqué au Conseil supérieur de la magistrature en décembre 1999 prévoit la modification du premier alinéa de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire et le remplacement de la faute lourde par la faute simple. Une telle réforme ne peut qu’être approuvée.

2) Les différents régimes de responsabilité personnelle des magistrats

Les magistrats sont soumis aujourd’hui à quatre régimes de responsabilité distincts, dont deux présentent des spécificités qui doivent être soulignées : il s’agit des responsabilités hiérarchique et civile. Les deux autres, en matière pénale et disciplinaire, qui seront examinés en second lieu, n’appellent pas, à ce niveau du présent rapport, de commentaires détaillés.

a) Le contrôle hiérarchique
Indépendants dans leurs fonctions juridictionnelles, ou, pour les membres du parquet, dans leurs réquisitions orales, les magistrats n’en appartiennent pas moins à une hiérarchie qui évalue et, dans certaines limites, contrôle leur action.

La portée de l’évaluation
Les articles 18 et suivants du décret du 7 janvier 1993 prévoient une évaluation de l’activité professionnelle des magistrats.
Dans un corps qui ne connaît de promotions qu’au choix, l’évaluation constitue l’élément d’appréciation presque exclusif dont disposent, d’une part, la commission d’avancement pour décider de l’inscription des magistrats aux listes d’aptitude et tableaux d’avancement et d’autre part, le CSM et la Chancellerie pour proposer les nominations.
L’avis des chefs de cour, autorités investies du pouvoir d’évaluer, mais aussi celui des chefs de juridiction présente ainsi une grande importance pour le déroulement de la carrière des magistrats puisqu’ils sont pris en considération d’abord lors de la vérification de l’aptitude au passage au 1er grade (pour l’inscription au tableau d’avancement) et ensuite lors de la nomination effective en avancement, en moyenne deux ans plus tard. Les magistrats judiciaires ne bénéficient pas en effet d’une carrière linéaire qui leur permette d’accéder aux échelles-lettres de la fonction publique ou à des fonctions d’encadrement par le seul jeu de l’ancienneté. Cette dernière constitue seulement, comme cela a été rappelé plus haut, l’un des critères retenus pour les nominations, aussi bien par le Conseil que par la direction des services judiciaires : elle n’est décisive que pour les mutations, sans avancement ni changement fonctionnel.
Or, l’évaluation des magistrats, dans sa forme actuelle, permet de porter une appréciation complète sur les différents aspects de leur activité : depuis 1993, la grille analytique, où sont répertoriés 28 critères correspondant aux qualités exigées des magistrats, comporte une échelle de notation sur six degrés allant d’exceptionnel à insuffisant. Les appréciations littérales sont elles mêmes détaillées en quatre catégories distinctes :
- aptitudes professionnelles générales ;
- aptitudes professionnelles juridiques et techniques ;
- aptitudes à l’organisation et à l’animation ;
- engagement professionnel.
En plus de la proposition du chef de juridiction, supérieur hiérarchique direct avec lequel se déroule l’entretien préalable, la plupart des magistrats des tribunaux sont évalués au vu des observations écrites recueillies auprès des membres de la cour d’appel ou des vice-présidents du tribunal, responsables de formation collégiale (art. 20 du décret no 93-21 du 7 janvier 1993). Ainsi, pour le juge d’instruction, sont transmis au premier président les avis écrits des présidents de la cour d’assises, de la chambre d’accusation et de la chambre des appels correctionnels (art. 20, al. 2-2o).
La multiplicité des critères d’appréciation des aptitudes, la diversité des avis préalables à l’évaluation, la position hiérarchique des autorités qui en sont chargées comme la faculté offerte aux magistrats d’y concourir grâce au caractère contradictoire de la procédure, confèrent une réelle efficacité à ce mode d’appréciation de l’activité des magistrats. Ceci vaut aussi bien pour les missions juridictionnelles que pour les tâches d’administration et d’animation, naturellement plus faciles à appréhender pour les chefs de cour ; il apparaît néanmoins que ces derniers n’hésitent pas à faire ressortir les erreurs répétées d’appréciation des magistrats tout en prenant garde de ne pas critiquer des décisions particulières, ce qui serait directement contraire au principe d’indépendance fonctionnelle des magistrats du siège.
L’utilité de l’évaluation est d’ailleurs particulièrement marquée lorsqu’il s’agit de sanctionner un comportement professionnel médiocre ou critiquable, mais ne relevant pas de la procédure disciplinaire. Ainsi, selon l’expérience des membres du Conseil, la très bonne qualité de l’immense majorité des dossiers de magistrats tout au long de leur carrière donne, par contraste, un relief singulier aux quelques appréciations défavorables, dont le retentissement tend à se trouver majoré dans l’opinion des autorités de nomination.
C’est dire que l’évaluation, devenue plus complète, précise et contradictoire, constitue aujourd’hui un outil efficace pour permettre aux magistrats de mieux apprécier leurs responsabilités.

Le pouvoir d’affectation dévolu aux chefs de juridiction
Le code de l’organisation judiciaire donne aux chefs de juridiction la mission d’affecter les magistrats au sein de chacun des services de leur juridiction.
Ces mesures d’administration, qui ne sont pas susceptibles de recours, constituent une prérogative importante pour les chefs de juridiction qui se voient confier la mission d’affecter les magistrats selon la nature des services.
Il appartient aux chefs de juridiction de remplir cette mission de manière impartiale en tenant compte des compétences professionnelles des magistrats et des nécessités du service public.
Le développement du contrôle hiérarchique direct
Depuis une décennie au moins, la part relative de l’activité administrative des magistrats s’est accrue, à mesure que s’amélioraient les techniques de gestion au sein du ministère de la justice, en phase avec le mouvement de modernisation de l’Etat. Les magistrats du siège se trouvent donc aujourd’hui, d’une manière plus sensible que naguère, insérés dans une hiérarchie administrative où, comme tous les agents publics, ils doivent rendre compte et exécuter les instructions reçues de la Chancellerie et des cours d’appel.
Non seulement les responsables des tribunaux de grande instance et d’instance, mais encore les chefs de service, vice-présidents ou magistrats délégués sont soumis aux obligations administratives usuelles. A titre d’exemples significatifs des domaines récemment ouverts au contrôle hiérarchique direct, on citera l’accès au droit, la limitation des frais de justice, l’achat public ou la participation des juridictions aux politiques publiques interministérielles. Parallèlement, la mise en œuvre d’un outil statistique plus performant (tableaux de bord), permet aussi aux cours d’appel et à la Chancellerie de disposer en temps réel des moyens de contrôle affinés sur l’organisation et la productivité des tribunaux.
De leur côté, les magistrats du parquet sont soumis à leur hiérarchie pour l’ensemble de leurs missions, en vertu des dispositions statutaires ou procédurales.

b) La responsabilité civile
Les principes sont fixés en cette matière par l’article 11-1 de l’ordonnance statutaire, résultant d’une loi organique du 18 janvier 1979.
Ce texte dispose d’abord que les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de leurs fautes personnelles.
La faute personnelle s’entend d’abord de celle commise en dehors de l’exercice des fonctions mais aussi, selon la jurisprudence dégagée pour les agents publics, de la faute intentionnelle (dont l’auteur est animé par l’intention de nuire ou l’intérêt personnel) ou de la faute lourde, d’une gravité extrême, même commise dans l’exercice des fonctions.
Les victimes de telles fautes personnelles des magistrats professionnels se rattachant au service public de la justice disposent d’un recours direct contre l’Etat, prévu à l’article L. 781-1 et 3 du Code de l’organisation judiciaire (cf. "L’Etat garantit les victimes des dommages causés par les fautes personnelles des juges et autres magistrats, sauf sur recours contre ces derniers "). Ce recours est exclusif de toute action dirigée contre le magistrat fautif, laquelle n’appartient qu’à l’Etat, selon l’art. 11-1 précité (alinéas 2 et 3) :
" La responsabilité des magistrats qui ont commis une faute personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’Etat.
" Cette action récursoire est exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation. "
Malgré l’intérêt que pourrait représenter la garantie de l’Etat, les demandes en indemnisation pour fautes personnelles de magistrats se rattachant au service public demeurent tout à fait exceptionnelles. L’action récursoire de l’Etat semble elle-même n’avoir jamais été mise en œuvre.
A titre de comparaison, on résumera ici les dispositions applicables à la fonction publique :
- l’agent public auteur d’une faute de service est personnellement irresponsable. Une telle faute engage la seule responsabilité de l’administration. La victime ne peut demander réparation qu’à la personne publique (l’agent peut, indépendamment, faire l’objet de poursuites disciplinaires ou pénales) ;
- lorsqu’il s’agit d’une faute personnelle, la jurisprudence tend à distinguer trois types de fautes : (1) celles qui, commises dans l’exercice des fonctions, révèlent un " comportement personnalisé " de l’agent caractérisé par la malveillance, l’intérêt privé ou des voies de fait ; (2) celles qui, commises en dehors de l’exercice des fonctions, ne sont pas dépourvues de tout lien avec elles ; (3) les fautes purement personnelles, détachables du service ;
- les droits des victimes.
Les victimes d’une faute personnelle des premier et second types peuvent poursuivre soit la personne publique devant les juridictions administratives, soit l’agent devant les juridictions judiciaires. Seules les conséquences des fautes personnelles du troisième type restent à la charge exclusive de l’agent.
Plusieurs lois imposent à la victime de poursuivre exclusivement la personne publique. Tel est le cas de la loi du 5 avril 1937 relative à la responsabilité des membres de l’enseignement et celle du 31 décembre 1957 relative aux dommages causés par les véhicules. Cette action est portée, en vertu de ces lois, devant les tribunaux judiciaires.
La loi organique du 18 janvier 1979 (art. 11-1 du statut de la magistrature) se rattache à ce type de loi.
La personne publique possède une action récursoire contre l’agent si elle a indemnisé les conséquences d’une faute personnelle des premier et second types.

c) La responsabilité disciplinaire
Cette question a été abordée dans le chapitre II du présent rapport. L’augmentation du nombre des saisines depuis une dizaine d’années démontre une évolution sensible dans ce domaine. A cet égard, les tableaux suivants sont significatifs.

DATE
TOTAL
SIÈGE
PARQUET
1970
4
4
0
1971
1
1
0
1972
4
4
0
1973
2
1
1
1974
2
1
1
1975
3
2
1
1976
1
0
1
1977
3
3
0
1978
1
0
1
1979
1
1
0
1980
2
1
1
1981
1
1
0
1982
2
0
2
1983
1
1
0
1984
0
0
0
1985
0
0
0
1986
4
4
0
1987
2
0
2
1988
1
1
0
1989
0
0
0
1990
2
2
0
1991
4
2
2
1992
6
5
1
1993
8
5
3
1994
10
6
4
1995
12
7
5
1996
6
5
1
1997
6
2
4
1998
6
4
2
1999
9
5
4

Avis et décisions émis par les organes disciplinaires

 

d) La responsabilité pénale
Les magistrats répondent des infractions pénales commises dans l’exercice de leurs fonctions ou en dehors.
A l’instar des autres décideurs publics, les magistrats sont exposés à ce qu’on appelle aujourd’hui le " risque pénal " au titre des infractions involontaires (en particulier homicides et blessures par imprudence). C’est même, du fait de la multiplicité de sites judiciaires (181 tribunaux de grande instance et 473 tribunaux d’instance), une importante proportion de magistrats qui assument, comme chefs d’établissements de dimensions très variables, des responsabilités directes en matière de sécurité, d’hygiène et d’organisation du travail.
En outre et contrairement à une idée largement répandue, tout délit imputable à un magistrat dans le cadre de la vie privée, même sans aucune incidence sur son activité professionnelle, peut être constitutif d’une faute disciplinaire ; dans un passé récent, des sanctions significatives, tel le déplacement d’office, ont pu être prononcées à ce titre.
Enfin, il convient d’ajouter que la responsabilité des magistrats peut, le cas échéant, être mise en cause devant la Cour des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière.

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